Textes pour le confinement

Le vieux sentier recouvert de mousse

Publié le mardi 21 avril 2020 par Bruno Kaiho Peslerbe

Etienne Zeisler (1946-1990), moine zen est l’un des tout premiers disciples de Maître Deshimaru dont il fût le traducteur. Le texte qui suit est un extrait des kusen qu’il fit au temple de La Gendronnière à  partir du poème de Maître Wanshi « Le chant de l’illumination silencieuse ».

14 août 1988


« Cet esprit merveilleux brille
De pureté et de rareté.
Comme l’aspect de la lune,
Comme une rivière d’ étoiles
Comme les pins vêtus de neige
Et les nuages enveloppant les cimes. »

Dans les poèmes zen, tout le temps la nature est le modèle, le modèle pour l’humain et le modèle de l’esprit libéré, l’esprit naturel, l’esprit ordinaire. L’homme veut toujours développer un esprit spécial. Il oublie la chose la plus simple. Il oublie la nature, le système cosmique. Aussi sur le chemin, il n’y a personne. La route originelle est déserte. Sur la Côte d’Azur, il y a beaucoup de monde. Saint-Tropez est plein, la Costa Brava aussi, et le vieux sentier n’est fréquenté que par la mousse, que par la rosée, par la lumière de la lune.

Revenir à  notre esprit originel, revenir à  notre authentique condition normale. Comme les pins recouverts de neige, comme les nuages enveloppant les cimes. Zazen réalise le vœu le plus élevé de notre esprit, revenir à  l’origine, fouler, marcher sur la Voie unique, sur le sentier recouvert de mousse… Après zazen, nous récitons les vœux du bodhisattva :
« Je fais le vœu de sauver tous les êtres.
Je fais le vœu de devenir Bouddha.
Je fais le vœu d’acquérir tous les dharma.
Je fais le vœu de maîtriser toutes les passions. »
Mais ce n’est pas suffisant.

Penser : « Un jour j’aurai tout compris, j’aurai sauvé tous les êtres, j’aurai maîtrisé toutes les passions », c’est seulement l’arrogance humaine. Zazen écrase cette arrogance humaine. Cela signifie se comprendre soi-même. Sensei disait aussi que se confesser ou se repentir, ce n’est pas s’excuser. Quand on faisait une erreur, il disait : « Ne vous excusez pas, comprenez. La nature ne s’excuse jamais :  « Pardon, j’ai coulé le Titanic…   » Trois mille morts : pas d’excuse. » Le typhon, le raz de marée ne s’excusent jamais. Nous devons aller au-delà  de l’arrogance humaine. Le voleur s’excuse devant son chef pour ne pas avoir assez volé ; le soldat pour ne pas avoir assez tué. Ce sont des exemples extrêmes, et Kodo Sawaki parlait toujours de l’ahurissement du groupe. C’est la même chose pour les organisations économiques, patriotiques, sportives, tous les « ismes », tous les mots devant l’absolu sont insuffisants. Zazen signifie se tenir droit devant cet absolu, sans péché, sans erreur, et laisser briller sur soi la lumière de zazen. Aussi, rien n’est rejeté, abandonné. Tout de nous-même pratique zazen, le zazen avec la nature entière, avec tous les êtres sensibles, comme les pins vêtus de neige, comme les nuages enveloppant les cimes.